On aurait pu parier sur l’anglais, l’espagnol ou encore une langue régionale comme le breton ou l’occitan. Mais non : la deuxième langue la plus parlée en France, juste après le français, est… l’arabe dialectal. Un fait linguistique aussi discret que fascinant, qui en dit long sur l’histoire culturelle du pays et sur la diversité de ceux qui l’habitent.
Une France officiellement monolingue, mais linguistiquement foisonnante
Depuis 1992, la Constitution française stipule que « la langue de la République est le français ». Pourtant, la réalité est bien plus nuancée. Selon le ministère de la Culture, la France compte aujourd’hui 72 langues régionales et plusieurs langues non-territoriales, toutes regroupées sous l’appellation de « langues de France ».
Autrement dit, si la France ne reconnaît officiellement qu’une seule langue, elle en abrite en réalité des dizaines, héritées de son histoire, de ses régions ou encore de ses vagues migratoires.
Dans cette mosaïque linguistique, l’arabe dialectal se hisse désormais en tête, avec entre 3 et 4 millions de locuteurs. Un chiffre qui dépasse de loin les locuteurs du créole, du berbère, de l’alsacien, du corse ou du basque. Une véritable première historique.
Qu’entend-on par “arabe dialectal” ?
Contrairement à l’arabe littéral – celui utilisé dans les textes officiels, la presse ou la religion – l’arabe dialectal est une langue essentiellement orale. Il regroupe une multitude de variantes, souvent très différentes les unes des autres. Comme le souligne le linguiste Jean Sellier, « la distance entre un dialecte du Maroc et un dialecte de la péninsule Arabique équivaut à celle séparant le portugais du roumain ».
En France, c’est surtout l’arabe maghrébin qui domine, porté par les communautés originaires du Maroc, d’Algérie et de Tunisie. On y trouve aussi, plus marginalement, des variantes libanaises, égyptiennes ou syriennes.
Mais attention : l’arabe dialectal n’est pas une langue homogène. Même au Maghreb, un Marocain et un Algérien ne se comprennent pas toujours parfaitement. Cette diversité fait toute sa richesse, mais rend aussi sa codification complexe.
Une langue « de France », au même titre que le breton ou le corse
Si l’arabe dialectal a obtenu le statut de langue de France, c’est parce qu’il répond à deux critères essentiels établis par le ministère de la Culture :
- Être parlé depuis longtemps sur le territoire, donc faire partie du patrimoine culturel national ;
- Ne pas être langue officielle d’un autre État.
C’est précisément ce qui distingue l’arabe dialectal de l’arabe littéral. Ce dernier étant langue officielle dans de nombreux pays, il n’entre pas dans cette classification.
Cette reconnaissance symbolique, portée notamment par des linguistes comme Bernard Cerquiglini, marque une évolution importante dans la conception du patrimoine linguistique français. Elle souligne qu’une langue n’a pas besoin d’être écrite, ni même “d’origine régionale”, pour faire partie du paysage culturel hexagonal.
Un reflet des migrations et de la mondialisation
L’essor de l’arabe dialectal en France illustre aussi un phénomène sociologique majeur : le brassage culturel issu de plusieurs générations d’immigration, principalement maghrébine. Aujourd’hui, de nombreux Français grandissent dans un environnement bilingue, où le français se mêle à des expressions arabes entendues à la maison, dans les quartiers ou au marché.
Pourtant, le nombre exact de locuteurs reste difficile à établir. Comme le rappelle l’ancien délégué à la langue française Xavier North, « certains se déclarent arabophones même s’ils ne le parlent pas couramment ». Le lien à la langue est donc autant identitaire qu’il est linguistique.
En résumé, l’arabe dialectal n’est pas seulement la deuxième langue parlée en France : c’est une langue vivante, mouvante et profondément enracinée dans le quotidien de millions de personnes. Elle incarne à sa manière la diversité du pays et la richesse de son héritage linguistique.
Preuve, s’il en fallait encore une, que la France est bien plus polyglotte qu’elle ne le laisse paraître.



